À la recherche de l’Ours Polaire
Jusqu’en 1973, les hommes ont impitoyablement chassé l’ours polaire de l’Arctique.
Devenu le symbole par excellence de la crise climatique, nous le guettons désormais dans chacune de ses apparitions, jumelles et appareil photo en main.
« C’est presque comme dans un rêve - je vais enfin découvrir ce lieu et cette vie dont j’ai lu tant de récits. Il y a seulement quelques années, je n’aurais jamais imaginé avoir la chance de pouvoir un jour entreprendre un voyage comme celui-ci. » écrit Knut Bjåen, chasseur d’ours polaire, en 1946. Extrait du livre de Birger Amundsen sur la chasse en arctique, Without Mercy.
Nous sommes à Gnålodden, Hornsund, au sud de l’île du Spitzberg, réputée pour sa population d’oiseaux marins et d’ours polaires. À quatre cent mètres de nous, un pic rocheux peuplé d’oiseaux perce le ciel. Par centaines, ils arrivent: les cris et les chants des pingouins et des mouettes emplissent l’air comme une longue plainte.
Une petite cabane d’à peine quelques mètres carrés, dont les panneaux de bois sont vieillis par le temps et par les éléments, se dresse sur les pierres enneigées. Il s’agit d’un des abris de Wanny Woldstad, chasseur d’ours polaires. Elle y a vécu par périodes dans les années 1930, avec ses deux fils.
En 1934, elle décrit la vie de chasseur dans l’archipel du Svalbard dans le magazine de Tromsø: « Merveilleux! Malgré les dangers, les tensions et difficultés, c’est parfait. Je ne laisserais ma place pour rien au monde… Le Svalbard coule dans mon sang. » Aujourd’hui la cabane est toujours debout. Les lits sont encore là. Le passé est sous nos yeux, mais difficile d’imaginer le quotidien de cette femme dans cet endroit.
Nous nous dirigeons vers les fjords, à l’est. Soudain, nous apercevons des empreintes dans la neige, de larges empreintes, de grandes ombres sur la poudreuse. Arrêt sur image. On pourrait placer quatre pieds d’homme dans une seule de ces empreintes. Les traces se poursuivent vers l’est, passent la crête, où un des membres de notre équipe d’expédition fait le guet. Une empreinte d’ours polaire. Il était là, juste là, où nous nous tenons. Un sentiment puissant nous submerge. Nous ne sommes plus des spectateurs de National Geographic. Nous sommes plongés dans cet univers blanc, pour de vrai !
Quelques heures plus tôt:
« Là ! Un ours polaire ! » Nous nous exclamons et le montrons du doigt. Notre navire Hurtigruten progresse lentement dans le fjord, au sud-ouest du Spitzberg. La traversée en mer de Barents était un peu agitée, mais maintenant les eaux sont calmes, elles scintillent. Debout avec l’équipe d’expédition Hurtigruten, nous scrutons l’horizon.
Soudain, les jumelles vissées sur le nez, l’un d’entre nous s’écrie: « Regardez ! Là où la montagne se jette dans la mer, au niveau du grand champ ! Je crois voir un ours blanc ! » Manuel Marin, ornithologue et expert Hurtigruten des régions polaires, ne soulève même pas ses jumelles avant de secouer la tête. « C’est une pierre ! » dit-il en souriant. « L’art de voir est lié au fait de parvenir à identifier des formes ou des couleurs inhabituelles, qui contrastent sur l’arrière-plan. Ce que tu crois être un ours est bien trop foncé par rapport à l’arrière-plan. »
« Vous pouvez faire confiance à Manuel ! » ajoute un membre de l’équipe d’expédition. « Il a l’œil perçant des aigles avec lesquels il a grandi »
Des morceaux de glace recouverts d’une pellicule fine et blanche flottent à quelques mètres de la terre. La présence de phoques laisse à penser qu’il y a aussi probablement des ours polaires. Nous progressons aussi silencieusement que des chasseurs dans le royaume de l’ours blanc. Tous nos sens sont en éveil. Nous sommes maintenant plus nombreux sur le pont. Le vent glacial de l’Arctique brûle nos visages et saisit les bouts de nos doigts. Munis de jumelles et d’objectifs à longue distances focales, nous scrutons le paysage blanc, mètre après mètre, à l’affût d’un mouvement révélant la présence de celui que nous recherchons.
Soudain, l’attente est récompensée. Des mouvements sur le pont. Un petit cri étouffé. On a vu quelque chose. Des haut-parleurs, une voix annonce aux passagers: « Mesdames et Messieurs, sur le pont, à onze heures, vous pouvez voir… un ours polaire ! Regardez juste à gauche de la petite île, à un mètre sur la droite des blocs de glace, l’ours polaire est allongé, il dort. Il vient de bouger! »
On ne sait pas quelle décision prendre: faut-il se rapprocher de l’ours ou regarder à travers l’objectif de son appareil photo ou regarder à l’œil nu ?… Des passagers avec des jumelles s’exclament et rient: « là ! là ! ». Nous fixons l’endroit désigné. Où est-il? Nous tentons d’adopter le comportement de l’ornithologue, regarder les formes et les couleurs qui se démarquent du fond. Et enfin ça y est, nous le voyons. Une pépite d’or dans cet océan de blanc, une déformation jaune sur l’étendue plate de la banquise. Il est loin, à 300 mètres peut être. Grâce aux jumelles prêtées par l’un des passagers… l’ours polaire est là, remplissant tout notre champ de vision.
Nous y voilà. Enfin.